Frères Jacques... Dormez-vous ? Soeurs Jacques aussi vraies que les les frères

Voici un spectacle magique et poétique, même pour qui n'a pas connu l'original ici pastiché. Certes, c'est le répertoire des célèbres compagnons des années cinquante qui est ici repris par un groupe de femmes, et pas seulement : même leurs mimiques sont au rendez-vous. Il y a un tel travail de création, dans une cohérence poétique jamais prise en défaut que ce spectacle se suffit en lui-même. Le style commence, avec "Frère Jacques" et "La Confiture", par afficher un genre très expressif, à la limite du caricatural. Mais, très vite, il devient habité par une infinité de nuances. Le recours aux projections vidéo, les dialogues entre pianiste et chanteuses, loin de casser le rythme de cette chorégraphie chantée, ne font que souligner la poésie de ce spectacle musical. Une poésie encore amplifiée par un travail de bruitage impressionnant, des danses de gants blancs et toutes sortes de créations originales. Si on se souvient, par exemple, de cette scène au cours de laquelle ce quatuor féminin se retrouve prisonnier d'élastiques, la vérité oblige à dire que c'est tout au long du spectacle que deux des interprètes sont particulièrement remarquables et qu'une troisième joue avec une constance extraordinnaire le rôle de la marginale qui ne comprend jamais rien à rien (les autres le lui faisant évidemment bien sentir). Pour un peu, on y retournerait ... Facétie musicale mise en scène et interprétée par Myriam Allais, Marièle Chartier, Angélique Dessaint, Eve Druelle. Au piano : Spohie Rieger. Théâtre du Bourg Neuf, 5 bis rue du bourg-neuf. Du 8 au 31 juillet. Tél. 04 90 85 17 90

Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

les fruits empoisonnés de la guerre

On sait que la guerre n'est source que de malheur, cette pièce le manifeste de façon irréfutable. « Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux » est une pièce très dure. Contemporaine, elle évoque clairement les guerres actuelles des Balkans, qui divisent les familles et poussent à l'exil comme à la folie ou à la négation des dignités. Le vocabulaire ordurier, l'éclairage quasi inexistant, l'interdépendance des ennemis, les conditions de vie évoquées, tout mène, selon la sensibilité du spectateur, à la nausée ou à la prise de conscience. Ce spectacle sent le militantisme, mais à un point qui ne laisse plus sa liberté de penser au public. Il est par conséquent à réserver aux âmes fortes. « Le mot progrès dans la bouche de ma mère sonnait terriblement faux », de Matéi Visniec. Mise en scène de Jean-Luc Paliès. Avec Philippe Beheydt, Katia Dimitrova, Claudine Fiévet, Alain Guillo, Jean-Luc Paliès, Miguel-Ange Sarmiento. Théâtre de l'Oulle, 19, Place Crillon, 84000 Avignon, à 11 heures du 7 au 26 juillet. Tél. : 04 90 86 14 70.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Mime médité

Pièce mystérieuse et puissante, « L'Enfer » interroge. Malgré elle ?« L'enfer » est une pièce mystérieuse. Tout en pétrissant une pâte à pain qui se métamorphose sans cesse pour incarner différentes marionnettes, une femme soliloque au sujet d'« elle ». Mais qui, « elle » ? Une compagne ? Elle-même ? Sa conscience ? C'est cette dernière hypothèse qui semble faire le moins de restes, sans pour autant acquérir le moindre caractère de certitude.Du coup, on se pose la question de l'utilité du texte. En effet, ne vaut-il pas mieux se laisser prendre par les évocations successives du mime et des marionnettes plutôt que de chercher en vain à savoir sans cesse de qui on parle, ce qui déconcentre par rapport au magnifique travail muet. Car il faut le souligner : le travail fait avec cette pâte à pain est d'une puissance émotive phénoménale, même si on ne saisit pas toujours le sens de ce qui se passe sur le plateau. « L'Enfer », de Marion Aubert. Avec Babette Masson. Mise en scène : Laurent Fraunié. Du 8 au 28 juillet à La Manufacture, 2, rue des écoles, 84000 Avignon, à 20 h 30 (relâche le 20 juillet). Tél. : 04 90 85 12 71.

Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Emerveillement intergénérationnel

Les meilleurs spectacles pour enfants sont ceux qui parviennent à captiver l'accompagnateur tandis qu'on entend une mouche voler... « Isidore et la plume bleue » est une pièce magnifique. Esthétisme, précision du geste, poésie et sagesse s'y côtoient harmonieusement. Le spectacle vise le jeune public, et le silence des tout jeunes enfants (jusqu'à trois ans, avant l'âge de la peur du loup) dit combien le but est atteint. Mais il sait réveiller l'enfant qui sommeille dans l'adulte accompagnateur et lui offrir du grain à moudre : qu'est ce que grandir et comment y aider vont être les questions qui lui sont posées avec tendresse et poésie tandis que l'accompagné s'émerveille de l'histoire de ce petit canard qui part seul explorer le monde. Il y a une précision chirurgicale dans la gestuelle des manipulateurs de marionnette de sorte que jamais l'émotion n'est parasitée par la technique, même si le travail se fait à la vue des spectateurs. On est face à un spectacle de grande qualité. « Isidore et la plume bleue, une aventure en marionnettes », spectacle tout public à partir de deux ans de Sylvie Fournout. Avec Francesca Testi et Cyrille Louge. Mise en scène : Cyrille Louge. Du 8 juillet au 1er août à 10 heures au théâtre des Béliers, 53, rue du portail Magnanen. Tél. : 04 90 82 21 07


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Sacré militantisme !

Si le militantisme pour des causes diverses réapparait en ce moment, celui au service de la foi n’a jamais disparu. Et, bonne surprise, il peut donner lieu à des spectacles de qualité. Les pièces engagés ont ceci de difficile que parfois elles sont aveugles sur leurs propres insuffisances, ce qui leur coûte d’autant plus cher qu’elles viennent après une longue tradition de spectacles de patronages (tant laïcs que cathos) dont la qualité était hélas connue…On ne parlera pas ici de ceux qui s’inscrivent dans cette perspective, mais, au contraire, on a plaisir à signaler l’« Evangile de saint Matthieu » mis en scène par Francesco Agnello, qui a réussi à revenir à Avignon malgré la tournée mondiale qu’il fait comme percussionniste de hang dans le spectacle de Peter Brook.Tout fraîchement créé lors du dernier festival d’Avignon, il revient dans le même lieu bien plus mûr. On note en particulier une incarnation des différents personnages beaucoup plus riche, qui contrebalance efficacement un travail relativement manichéen (mais conforme au style de l’auteur) sur les voix. Seule réserve : le passage sur les vendeurs chassés du Temple est un peu trop crié de sorte que ce qui est gagné en volume sonore est perdu en clarté d’élocution.Le texte, s’il est incomplet (il est traité sous forme de tableaux successifs), est livré tel quel, sans autre commentaire que le son du hang, percussion très favorable à la méditation. Il devient alors d’autant plus respectueux de la conscience de chacun que la résurrection n’est que suggérée. Evangile de saint Matthieu. Adaptation, mise en scène et musique de Francesco Agnello. Avec Lorenzo Bassotto. À la chapelle de l'Oratoire à 18 h 30.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Alliances

Monsieur de Pourceaugnac est l'alliance de l'ancien et du moderne, du divertissement et de la réflexion, de tout ce qui précède et du talent. « Monsieur de Pourceaugnac » est une très bonne pièce, qui a su marier un texte du répertoire à une mise en scène contemporaine et créative. Molière faisait jouer ses comédiens en costumes du temps, ceux d'aujourd'hui jouent donc en vêtements de notre temps, même si le texte est à très peu de choses près celui de l'auteur. Ces tenues contribuent à donner un côté plaisant et baroque au jeu très rythmé et physique des acteurs qui, parfois, dérape vers le style clownesque. Ce qui est tout à fait logique, celui de Molière étant celui de la farce. Onomatopées, rires, caricatures, jeux de masque, rien ne manque au catalogue des différents moyens de divertir le public, mais surtout tout est parfaitement bien dosé, équilibré. La danse incantatoire des médecins est sans doute un des moments les plus réussis, qui offre au spectateur une longue crise de rire.Mais cette pièce recèle d'autres dimensions, plus essentielles, comme de faire réfléchir et rire à la fois sur l'esclavage. Ce théâtre n' apas choisi entre divertissement et réflexon sociale : il mène aux deux, magistralement. « Monsieur de Pourceaugnac », de Molière. Avec Daniel Jean, Pierre-Yves Le Louarn, Eva Castro, Stéphane Miquel, Sarah Sandre. Mise en scène : Isabelle Starkier. À la Fabrik Theâtre du 8 au 31 juillet à 16 h 30. Tél. : 04 90 86 47 81, www.fabriktheatre.fr


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Une vision du monde

La mode est à l’Est. Après l’univers de la peinture, c’est à celui du théâtre de nous montrer sa vision du monde, souvent selon les anciennes colonies soviétiques, ici selon la Russie elle-même. « Le jour de Valentin » est une pièce qui nous rend plus témoin d'un monde qu'il ne nous y fait entrer. Pourtant, même si par ailleurs on a du mal avec la violence qui s'en dégage, ce spectacle est intéressant à plus d'un titre.Quant à sa forme, c'est un mélange entre fantastique, conte, théâtre et cirque, dans des proportions tout à fait réussie. En effet, constitué de tableaux qui s'appellent et s'évoquent les uns les autres entre présent et passé, réalité et rêve, il parvient à maintenir un fil évident entre ces différents moment et lieux de dialogue.Quant au fond, il constitue une introduction à la littérature russe contemporaine. L'auteur en est : Ivan Viripaev, encore peu connu en France. Il se caractérise par une lecture paradoxale et ironique de l'Histoire récente de ce pays, depuis Gorbatchev jusqu'à aujourd'hui. À ce titre, la pièce est pleine d'enseignements. La question devient moins de chercher à comprendre où mène ce jeu de haine et de dépendance entre deux femmes-miroir qui aiment le même mort que de voir comment les sentiments sont exprimés. Si certes il restait encore quelques longueurs en répétition à Paris, on a tout lieu de croire que ces défauts de jeunesse sont maintenant corrigés tant, globalement, la question des rythmes est bien traitée. Le jour de Valentin, d’Yvan Viripaev. Avec : Caterina Barone, Irina Boujilova, Hédi Tarkani. Du 8 au 30 juillet au Pulsion Théâtre à 18 h 30. Tél. : 04 90 85 37 48.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Désespoir joyeux ?

François Joxe n'est jamais aussi heureux que sur les planches, et joue tellement bien qu'il peut laisser le spectateur interloqué. « Avant dernières salutations » est un texte que François Joxe donnait déjà dans le « off » l'an dernier, déjà aux Ateliers d'Amphoux. En sortant de ce spectacle, on avait alors l'impression que l'auteur-interprète venait d'user d'un grossier subterfuge pour nous léguer ses derniers désespoirs avant d'aller se jeter dans le Rhône. Mais il y a tellement bien survécu qu'il a joué son spectacle solo à Paris cette saison, avant de revenir à Avignon. Il fallait donc éclaircir le mystère et savoir si l'impression produite était due à son talent de comédien ou à l'état de son esprit. « Si je suis hanté par la mort, je n'ai jamais été tenté de mettre fin à mes jours », confie cet homme qui a vu ses proches mourir dès mon enfance. Quant à savoir si ce qui est raconté dans le spectacle trouve des racines dans sa vie, la réponse est que certes, mais pas plus que pour n'importe quel auteur. Par exemple, l'histoire du héros (ou plutôt de l'antihéros puisque le thème du spectacle tend à montrer comment il a raté sa vie quel que soit l'angle sous lequel on l'examine) qui se jette du haut d'une montagne mais se rate et atterrit aux pieds d'une bergère qu'il épouse a pour seule inspiration une foulure durant une excursion.Pour le reste, s'il y a de la sincérité dans les adieux des cinq dernières minutes, il s'agit d'un assemblage de quatre textes : un d'adieux, un autour du thème du ratage de la vie professionnelle, un autre sur une psychanalyse étrange et un dernier qui prône le retour à la nature de façon radicale. On est donc face à un spectacle paradoxal, criant d'une fausse vérité et si excessif dans son désespoir affiché que, parfois, on en rit tant le trait est gros. Il ne laisse en tous cas pas indifférent : l'an dernier, plus de la moitié des spectateurs a acheté le texte. « Avant-dernières salutations », de et avec François Joxe. Aux Ateliers d'Amphoux, 10, rue d'Amphoux à 14 h 45 du 8 au 28 juillet. Tél. : 06 83 71 94 25 ou 04 90 86 17 12 ou 06 45 94 56 12.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Plus qu'un récital

Les histoires d'amour ne finissent pas toutes mal, même si elles passent par les mêmes étapes... « Paris-Séville mon amour » fait partie de ces spectacles musicaux qui sont bien plus qu'un simple récital. Une thématique (les étapes d'une histoire d'amour) et une vraie mise en scène lui donnent un air de pièce de théâtre. Les chansons sont de Gloria Estefan, Léo Ferré, La Lupe, Guy Marchand, Homero Manzi, Agustin Lara, Brassens, Armando Manzanero, Colette Renard ou Nougaro. Un texte bien trouvé et coulant, drôle et touchant aussi, assure des transitions parfaitement négociées. La voix de Raquel Castellano est particulièrement remarquable, qui transpire autant de sensualité que de sentiment dans les mélodies espagnoles tandis que son comparse, Patrick Mons, se signale par son jeu de guitare. Il y a beaucoup de délicatesse et de pudeur, de vérité aussi, dans l'ambiance qu'ils créent ensemble. On pense par exemple au moment où chacun attend un coup de téléphone de l'autre, aucun n'en prenant l'initiative et tous deux étant sur les charbons ardents. L'humour est simple et bien vu : « j'ai l'impression qu'elle s'est mise à table et que je suis dans l'assiette.. », « -Elle est belle, cette chanson... -Elle me ressemble », « Finalement, on ne sait jamais si on est amoureux ou si on ne fait que retarder le moment où on va prendre des antidépresseurs ». Le jeu amoureux d'affrontement doublé de désir, thème central du spectacle, est très bien interprété dans toutes ses nuances, de l'attitude de demande à celle de complicité en passant par le réglage qui s'effectue à travers les différents. C'est là un très bon spectacle, qui rappellera des souvenirs aux amoureux et soulèvera une partie du voile à ceux qui n'ont pas encore connu ce sentiment. « Paris – Séville mon amour », avec Patrick Mons et Raquel Castellano. Au théâtre de l'Ange, 15-17, rue des Teinturiers, 84000 Avignon, à 20 h 45. Tél. : 04 90 85 13 62.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Dur

Il est des causes qui ne souffrent pas le silence. Jusqu'à quelle crudité faudra-t-il aller pour que la prise de conscience se fasse. Jacques Kraemer a présenté cet hiver à Paris une « petite forme à caractère pédagogique et militant » qu'il présente dans le off d'Avignon. Que dire de cette pièce en faisant abstraction de son décor (il s'agissait alors de celui d'une autre) ? Qu'il s'agit d'un patchwork tout à fait cohérent et très dur autour du thème du viol. Le jeu des comédiens adopte le style de l'affrontement. Les répliques sont fortes, hachées. Plus difficilement compréhensible, on assiste par moments à une sorte de chorégraphie, faite de mouvements lents, au sens obscur. Le violeur qui nie son acte ou rabaisse sa victime en l'assimilant à un orifice est certes un moment plus clair, mais ô combien plus dérangeant. Bref, cette pièce prend aux tripes, même si on peut s'interroger sur la dureté du jeu des comédiens. « Il aurait suffit », de Jacques Kraemer. Avec Roxane Kasperski et Simon-Pierre Ramon au théâtre du petit Louvre, 23, rue Saint-Agricol, à 15 h 45. Tél. : 04 32 76 02 79.


Pierre François, n° 19 juillet-août 2009

Très bien vu

« Libres sont les papillons » traite d’un sujet délicat, le handicap, mais l’air de ne pas y toucher et sans bon sentiment à la guimauve. Qui, au juste, est le plus handicapé : celui dont les yeux du corps ne voient pas ou celle qui, incapable de lever les yeux du cœur sur autrui, préfère retrousser ses jupes ? « Libres sont les papillons » est une pièce adaptée de la comédie de Léonard Gershe par Hélène Zidi-Cheruy, qui en assure aussi la mise en scène. Si ce spectacle a déjà rencontrée un franc succès au dernier festival d'Avignon, le personnage masculin est interprété par Antoine Morin cette année.
Il est indiscutable que lors de la première répétition parisienne en présence de public, on croyait déjà complètement à la situation et aux personnages.
La pièce est par ailleurs très intéressante du point de vue du fond. Elle aborde d'abord le thème de l'acceptation du handicap par l'étranger, avec la voisine sans-gêne qui se met à gaffer sans cesse, à culpabiliser et à se confondre en excuses à partir du moment où elle apprend que son voisin musicien est aveugle. On savoure l'échantillonnage d'expressions révélatrices (et bien jouées) du type « ferme les yeux », « regarde pas, c'est le bordel dans ma chambre », « je ne voudrais pas que tu aies cette image de moi »... Elle montre ensuite combien c'est sans doute la mère qui est plus dépendante de son fils que l'inverse, ce qui se traduit par la classique surprotection, ici traduction d'une possessivité appelée à se convertir. Enfin, la personnalité du handicapé lui-même est particulièrement bien vue, spécialement dans ce dialogue : « -Ca ne se fait pas de se foutre de la gueule d'un aveugle. -C'est toi qui m'a dit de faire comme si tu étais comme tout le monde ». Cette pièce est absolument à voir par tous ceux qui s'interrogent sur les personnes vivant une différence. « Libres sont les papillons », de Leonard Gershe. Adaptation et mise en scène d'Hélène Zidi-Chéruy. Avec Antoine Morin, Lola Zidi, Hélène Zidi-Chéruy.

Pierre François, n° 19 juillet-août 2009